Lire l’article du blog “Profs mis en examen”
“Impossible de proposer un bilan non subjectif du dispositif Parcoursup, puisque la procédure n’est pas totalement terminée, et ce n’est qu’en septembre qu’un nombre non négligeable de néo bacheliers connaîtra son affectation. Difficile aussi d’être totalement objectif, sur une question qui a généré beaucoup de critiques et commentaires acerbes. D’un autre côté, comme beaucoup d’enseignants, je me suis suffisamment penché sur cette innovation, qu’il a fallu découvrir et apprivoiser, pour m’autoriser ce bilan subjectif, ce qui ne signifie pas infondé.
Tout ça pour ça?
C’est un sentiment largement ressenti par les professeurs. Beaucoup de recherches, d’informations à collecter, à transmettre , à recouper, pour finalement arriver à plusieurs dizaines de milliers de candidats qui n’auront de réponses positives qu’en septembre. Il était de bon ton d’accabler le système précédent, APB, mais les professeurs savent bien qu’il y a un problème évident d’offre de formations par rapport aux demandes; le ministère a habilement, comme il le fait toujours quand il y a une réforme, lâché du lest. ici, on a créé à deux reprises des postes dans le supérieur (21 000 + 10 000), mais se traduiront-ils par plus d’enseignants et un meilleur encadrement des étudiants? On peut fortement en douter.
Les gagnants de Parcoursup
On ne peut nier que le tirage au sort, par exemple en Staps était aberrant. D’une manière générale, ceux qui ont les meilleurs dossiers peuvent explorer toutes les formations qui pourraient les accepter, ce qui n’était pas le cas avec APB, puisqu’il fallait hiérarchiser ses voeux. De ce fait, des néo bacheliers restent tributaires de l’indécision de ceux qui peuvent se permettre d’attendre avant de donner leur réponse définitive.
Les humiliés de Parcoursup
N’insistons pas sur le temps considérable passé par les élèves pour comprendre le dispositif, pour affiner leur stratégie et rédiger ce qu’on a appelé des lettres de motivation, parfois (souvent?) non lues. Beaucoup d’énergie dépensée, alors qu’il fallait préparer le bac blanc et continuer à avancer dans l’année de terminale. Certains ont eu le sentiment que cette année, ils ne passaient pas le bac, mais Parcoursup (voir ici).
A l’évidence, ce système a pu satisfaire les très bons élèves et encore. On sous-estime les frustrations et humiliations qu’il a provoquées. Marie Duru-Bellat, sociologue bien connue, spécialiste de l’éducation développe cette idée dans un article du mensuel « Alternatives économiques » (numéro 381 de juillet-Août 2018). « si on peut se révolter contre un « système » qui vous élimine par tirage au sort, il est bien plus cruel d’être mal classé ou rejeté parce que l’on est jugé « pas assez bon ». Ou encore de voir considérée comme inadéquate sa lettre de motivation, donc son projet, voire sa personne… On semble ainsi mériter son élimination. »
Le système envoie comme message y compris à de très bons élèves, il y a bien meilleur que toi. Et comme cette info est donnée quotidiennement, l’obtention d’une formation à la toute fin laissera un goût amer. Un collègue a fait le parallèle avec la classe exceptionnelle pour les professeurs créée sous François Hollande. C’est un moyen de revaloriser une faible proportion de carrières. Le collègue deux fois déjà s’est vu signifier, que malgré de solides états de service, il n’était pas assez exceptionnel pour être promu. Il le sera peut-être à l’usure, d’ici là lui donne-t-on envie de continuer à se dépasser pour aider davantage les élèves?
Un tirage au sort généralisé?
Beaucoup d’universitaires ont dit que le paradoxe de ce système c’était que sous prétexte d’éliminer le tirage au sort, on le généralisait. Il faut dans bien des formations classer les dossiers à partir d’algorithmes devant traduire des notes, des appréciations, des projets motivés, en une note. Cela revient à classer des dossiers au centième ou millième de point près. Qui peut raisonnablement prétendre qu’il n’y a pas une forte dimension classement au pif? C’est une forme moins radicale que le tirage au sort complet, mais on en n’est pas si loin.
Les petits lycées sacrifiés?
C’est un sentiment largement éprouvé par les collègues. Pour eux, c’est clair que les grands lycées de centre ville, pour leurs classes prépas pénalisent les dossiers venant de petits établissements. On peut penser la plainte excessive, qu’elle s’explique par une acrimonie de collègues n’exerçant pas dans les lycées les plus prestigieux, mais la mésaventure de Ranitea fait réfléchir: 20.32 au bac, meilleure moyenne en Polynésie et cette élève aurait été refusée dans tous les établissements parisiens et en attente à Toulouse. L’info, largement diffusée sur internet a été énergiquement démentie par le ministère. Cet article du Monde fait le point sur ce qui aurait pu devenir un cas emblématique et problématique.
Pas de bilan consensuel, mais une question consensuelle?
On ne peut prétendre aboutir à un bilan incontestable. Personnellement, pour être clair, je dirai que ce système est « survendu », a des atouts, mais porte en lui des risques de dérives. Survendu, parce qu’il n’est pas la solution à toutes les difficultés rencontrées par APB. Il a évité quelques situations ubuesques et obligé des élèves à mieux réfléchir à leur stratégie de poursuite d’études. Il ne faut pas oublier qu’il a fait sauter de fait le tabou de la sélection, et qu’il risque de favoriser les inégalités entre lycées (risque aggravé par la réforme du bac). Il envoie aussi un message souvent négatif et culpabilisateur à beaucoup de jeunes.
On ne cherche pas avec ce billet à dégager une position unanime, en revanche, on aimerait que progresse l’idée suivante. Quand on fait une réforme de l’orientation, du lycée, de la fiscalité, des retraites, ce n’est jamais une simple réforme technique dictée par le bon sens. Elle résulte d’ a priori idéologiques, de paris sur l’avenir qui contribuent à dessiner, à façonner la société dans la quelle nous vivrons. Dans ce cadre, la réforme officiellement méritocratique n’encourage-t-elle pas la montée de l’individualisme, les inégalités spatiales, la glorification des premiers de cordée et l’accablement de ceux qui s’en sortent moins bien?”